Emilie, peux-tu te présenter en quelques mots et expliquer pourquoi tu as voulu me parler d’intuition ?
En préalable, je crois que ce n’est pas un hasard si cette conversation a lieu maintenant. J’ai la conviction que dans cette période oh combien extra-ordinaire que nous traversons, il est essentiel de se connecter à cette petite voix qu’est l’intuition.
Je suis à mi-parcours de ma vie, avec un recul et une histoire qui me font assumer l’intérêt que je porte à l’intuition. Au niveau personnel, j’ai toujours suivi le fil de mon intuition. Et je m’en suis rendu compte quand le bruit extérieur devenait trop intense et me faisait justement perdre ce fil. Dans mon univers professionnel, j’ai pour rôle de porter ces petites voix – celles des clients – aux différentes parties prenantes de l’entreprise.
Alors je dirais que ma personne, mon métier, cette période particulière convergent vers ce sujet puissant qu’est l’intuition, cette connexion cœur-cerveau.
Justement, quelle est ta définition de l’intuition ?
J’ai envie de me référer au grand Albert (ndlr : Eintein) dont les citations m’inspirent jour après jour, qui dit que c’est une forme d’intelligence qui va plus vite que la raison. En ce qui me concerne, l’intuition est une capacité, une facilité à connecter des choses lues, entendues, ressenties, aimées, détestées, hier, il y a 10 ans, 20 ans. C’est un moment où des connexions se font et font émerger des évidences. L’intuition va bien au delà des mots, elle peut être forme, couleur, odeur, image… Ce qui la rend difficile à exprimer, partager, expliquer.
Quelle est la place de l’intuition dans ta vie ?
L’intuition prend beaucoup de place dans ma vie. Alors j’ai du apprendre à l’apprivoiser, à trouver des moments pour être à son écoute, à ne pas me laisser submerger. Car l’intuition n’amène pas que de la magie ou de la poésie. Elle a aussi son cortège de doutes.
D’ailleurs, en y pensant, j’ai presque envie de dire LES intuitions tellement elles sont plurielles dans leur expression. Elles peuvent être une sensation dans le corps, une idée qui passe, une émotion qui affleure. Les questions que je me pose alors sont de plusieurs natures : Qu’est-ce que je peux porter ? Qu’est-ce que je peux transformer ? Qu’est-ce que je peux ou veux partager ? J’ai besoin de cette phase de maturation pour « articuler » mes intuitions, les ancrer dans quelque chose de réel, compréhensible et utile au monde.
Quel lien fais-tu entre intuition et émotion ?
Pour moi, les émotions participent à l’intuition. Elles sont une sorte de porte d’entrée, d’accélérateur de l’intuition. Je suis à l’écoute de mes sensations et ma sensibilité me permet de ressentir mes émotions tout comme celles des autres. Ces émotions sont autant de stimuli et de sensations que mon intuition va pouvoir connecter.
Quel regard portes-tu sur ton intuition ?
Pendant longtemps, je l’ai vue comme une contrainte. Je ne savais pas comment l’utiliser et la canaliser, surtout dans ma vie professionnelle. En France la pensée de Descartes est partout. Aujourd’hui, je réalise qu’elle m’a aidée dans les amitiés que j’ai pu tisser au fil des années, dans mon chemin de vie, dans ma rencontre avec mon mari, dans l’endroit où je vis épanouie aujourd’hui. Elle m’a aidée à être en meilleur équilibre. Elle m’aide dans mon métier car je la mets au service de l’entreprise et du monde. Elle me permet une meilleure écoute, une meilleure compréhension des besoins non exprimés. Ecouter ce n’est pas mesurer. Ecouter c’est observer. Ecouter c’est se taire, faire silence en soi. Ecouter c’est écouter les non-dits, les silences. Pour moi écouter c’est engager avec quelqu’un, c’est connecter.
Mon intuition m’amène des convictions fortes qui m’animent et que je porte dans l’organisation. Articulée par un discours pertinent et par une bonne gestion de projet, mon intuition me permet de développer un leadership authentique et incarné. L’écoute des collaborateurs m’amène à savoir comment les embarquer, comment contribuer au bon fonctionnement collectif. J’ai conservé des relations très fortes dans toutes les entreprises où j’ai travaillé. Je suis très anglo-saxonne dans ma façon de communiquer, je vais à l’efficacité, et très humaine dans mes relations professionnelles. Et ça fonctionne plutôt bien.
Ton intuition t’a-t-elle déjà joué de mauvais tours ?
Oui bien sûr. Elle m’a amené des moments de remise en question fortes. Dans ces moments, je me suis posée, j’ai réfléchi à ce que je voulais faire et avec qui. Tout le monde n’est pas en capacité de recevoir, de voir ce qu’apporte l’intuition. Certaines personnes ont pu en prendre ombrage car mon intuition va de pair avec un sens aigu de ma liberté. L’intuition m’a aidée à définir le sens que je veux donner à ma vie, l’impact que je veux avoir sur le monde. Elle est chez moi un fort moteur de développement personnel.
Et justement, par rapport à l’intuition, quel impact souhaites-tu avoir ?
Je pense que l’intuition est un don que nous possédons tous au départ mais que l’on ne nous apprend pas assez à développer. Elle mériterait d’être davantage valorisée à l’école, puis en entreprise. Aujourd’hui, cela reste compliqué de parler d’intuition en entreprise. Or, la récente crise nous a montré à quel point notre monde est devenu incertain, volatile, vulnérable. Il faut trouver d’autres modèles, d’autres façons de fonctionner dans lesquels l’intuition a une place avérée.
J’ai la conviction que les dirigeants intuitifs réussissent mieux car l’intuition leur permet de prendre des décisions plus facilement et qu’ils sont plus incarnés.
A ce propos, comment concilies-tu intuition et raison ?
Pour moi, la force d’une organisation c’est sa capacité à embarquer des personnes plus intuitives et d’autres plus rationnelles…c’est drôle, le premier mot qui m’est venu est raisonnable ! Ce n’est pas une personne qui fait l’organisation mais des bonnes couleurs chromatiques aux bonnes positions de manière à favoriser une balance, un équilibre.
L’intuition se cultive-t-elle ?
Oui bien sûr ! En mettant en éveil ses cinq sens, en accueillant ses émotions, par des lectures, des rencontres. Pour moi, elle se cultive dès l’enfance et les parents et l’école ont un rôle important à jouer en termes de permission : donner le droit à l’erreur. J’ai deux filles et nous avons un petit rituel qui est de nous raconter nos rêves. C’est un moyen simple d’ouvrir la porte de l’intuition, d’entrer en relation avec l’autre par une voie un peu atypique qui donne libre cours à l’imagination et à la curiosité.
Quels seraient tes conseils à des managers qui veulent cultiver leur intuition ?
Nourrir leur champ de curiosité, apprendre à regarder autour d’eux, rencontrer des personnes qui les inspirent.
Quels seraient tes conseils à des managers qui ont des collaborateurs intuitifs ?
Il faudrait demander à mon manager que je remercie au passage car en dépit de nos différences, il accueille et valorise ce que je suis et peux apporter à l’entreprise. Il fait preuve d’agilité et d’une grande intelligence émotionnelle.
Intuitivement (!) je dirais qu’il est important de laisser de l’a liberté et de l’autonomie, de reconnaître la compétence interpersonnelle qu’est l’intuition, de favoriser l’échange en allant sur la colline de l’autre. Je crois que le manager d’un collaborateur intuitif doit l’aider à clarifier son intuition dans une forme qui soit compréhensible par tous.
Un mot de conclusion ?
L’intuition n’a pas de frontière, c’est un langage universel. Dans un monde de plus en plus incertain, j’ai la conviction que l’intuition est le moyen de nous ancrer et de nous reconnecter à nous-même et aux autres.