Pourquoi ce thème « confrontant » de la confrontation ?
Je suis patron d’une équipe de 500 personnes dans le secteur de l’assurance. Je précise ces chiffres pour éclairer un des enjeux forts de mon métier : le management. Ce qui m’anime dans mon rôle de manager c’est d’orchestrer une équipe où chacun puisse se développer et prenne plaisir à travailler. J’ai envie ici de faire l’éloge de la confrontation en miroir de ton éloge de la bienveillance. Je suis convaincu que la confrontation est une troisième voie entre un unanimisme et une adhésion absolus d’une part, et une culture de l’affrontement très française d’autre part. Cette voie est celle du regard croisé, d’un climat où la poussière n’est pas mise sous le tapis, où l’échange des idées est possible, où chacun peut interpeller, apporter contradiction pour, ensemble, trouver des solutions.
La confrontation ne veut pas dire co-décision ni cogestion. La stratégie est définie par le patron mais sa mise en œuvre doit s’enrichir de la réflexion collective … jusqu’à ce que les bonnes décisions soient prises. La confrontation permet « d’améliorer la copie » et aussi de faire adhérer le plus grand nombre à la décision finale.
D’où est né ton intérêt pour la confrontation ?
Depuis toujours ! Mes parents m’ont transmis la culture du débat. Elle trouve plus que jamais son sens aujourd’hui, puisque je dirige une entreprise qui est issue de la fusion fin 2018 de deux entreprises.
Au-delà de la mise en œuvre opérationnelle d’une convergence des organisations, des processus et des systèmes d’information, l’enjeu managérial m’est apparu fondamental pour transcender deux cultures historiquement très marquées voire antagonistes : le principe de fonctionnement, annoncé comme tel dès le départ à tous les collaborateurs, est précisément de valoriser ces différences pour construire ensemble « une troisième voie » et faire de la recherche constante d’une saine confrontation un nouvel état d’esprit qui embarque chacun.
Pour moi, la confrontation est le contraire de l’affrontement ou du conflit. C’est la capacité à croiser les regards, à orchestrer des débats contradictoires et être capable d’être « cash sans faire de clash ». Je pars du principe que chacun a quelque chose à apporter. Plus largement, la confrontation c’est une manière de challenger ses propres opinions pour construire des propositions impactant positivement l’entreprise, ses collaborateurs et ses clients, dont l’alignement d’intérêt doit être une quête constante.
N’y-a-t-il pas dans le terme « confrontation » le germe d’un conflit ?
Je ne pense pas. J’aime provoquer pour impacter, j’aime bousculer pour faire avancer, j’ai le goût des formules. J’admets que je peux choquer et revendique le droit à la maladresse. Avec la confrontation, je bouscule la mission du manager en refusant qu’elle soit basée sur un rapport d’autorité . L’autorité est légitimée par la capacité à entendre la contradiction. Le manager doit favoriser la confrontation et ce que je dis à mes équipes « aimez la confrontation car elle est enrichissante ».
Y-a-t-il des conditions pour que la confrontation puisse être enrichissante justement ?
Oui. Il n’y a pas de saine confrontation sans sincérité et bienveillance. Je crois beaucoup au management de la sincérité. Lorsque je suis arrivé au Royaume-Uni, seul Français parmi 5000 Britanniques, dans une entité où la direction avait été débarquée…ma façon d’être, ma posture, ma sincérité m’ont permis d’embarquer l’adhésion des équipes. La sincérité s’incarne donc. La sincérité est liée à la responsabilité et à la confiance, notamment pour pouvoir assumer le droit à l’erreur sans lequel rien ne bouge.
Quel lien fais-tu entre confiance et confrontation ?
La confiance ne se décrète pas mais la saine confrontation s’anime. Et en se déployant, la confrontation pousse les collaborateurs dans une dynamique progressive de libération de la parole. ET plus la parole peut se libérer, plus la confiance s’installe. C’est un cheminement qui s’enrichit à chaque pas. Mon postulat de départ c’est d’aller chercher l’avis des collaborateurs, de dire avec clarté qu’ils ont le droit de ne pas être d’accord, d’expliquer mes choix et d’enrichir ma copie des contributions de chacun. Bref c’est la belle confrontation qui crée la confiance.
Comment diffuses-tu cette « culture de la confrontation » auprès de tes équipes ?
Je crois beaucoup en la force des rituels. J’ai créé des rituels d’interaction pour créer des liens avec les équipes, pour moi-même me confronter aux équipes. Par exemple, en ce moment, j’organise des coffee party virtuelles de manière à avoir vu les 500 personnes de mon entité d’ici Noël. C’est 40 coffee party en 40 jours. Ce sont des moments d’échanges conviviaux et informels où je peux « sentir » l’humeur de mes collaborateurs, recueillir leur ressenti, mais aussi traquer les malentendus, débattre pied à pied sur tous les sujets qui grattent.
Je fais également une vidéo par mois où j’incarne mes prises de positions, où je commente l’actualité. J’ai mis en place un baromètre, un questionnaire très rapide envoyé tous les 15 jours, pour interroger mes collaborateurs sur un sujet à chaque fois différent qui peut aller de leur état d’esprit, leur plaisir à travailler, leur sentiment d’appartenance à l’entreprise à une question relative à l’actualité de l’entreprise, une décision prise en passant par la reconnaissance de leur contribution. Le style des questions posées est très clivant voire familier. En général, il y a 4 questions qui nécessitent 30 secondes pour y répondre. En moyenne, 75% des collaborateurs répondent à ce questionnaire flash. Les questions posées sont des messages, les réponses reçues (totalement anonymes pour garantir une parole libérée) sont des pistes de réflexion, génèrent des questionnements que je partage dans des réunions d’équipes, dans mes vidéos. Ce baromètre est un outil de confrontation super puissant.
Ces rituels font vivre le « contrat social » que j’ai annoncé dès le départ. Le cadre du jeu de la confrontation est porté par les rituels d’interaction et encadré par des règles du jeu faites de droits et de devoirs, en particulier le droit d’interpellation couplé au devoir d’écoute. Il vaut pour le manager mais il s’applique aussi à chaque collaborateur. La confrontation marche dans les deux sens.
Cette culture de la confrontation t’a-t-elle déjà joué des tours ?
Il arrive qu’il y ait des ratés, des maladresses, des échanges improductifs. Mais les moments où cela patine sont aussi des temps de décantation. Il peut y avoir des frictions mais le principe posé dès le départ est que c’est OK.
Comment cultiver la culture de la confrontation ?
Mon côté « catho de gauche et provocateur » a envie de répondre par une citation de Jean-Paul II : « N’ayez pas peur ! ». Je crois qu’il convient d’être au clair avec soi-même, avec ses décisions et ses prises de position. Si je ne sais pas répondre aux contradictions, alors il est important que des questions soient posées pour gagner en clarté et enrichir ma décision. Il convient aussi d’être sincère et de reconnaître qu’on est humain et donc faillible. Et puis il faut aimer la confrontation des idées pour progresser.
Je crois qu’un élément fondamental de cette culture de la confrontation c’est la capacité à communiquer. Le leadership passe par la capacité à exprimer une vision, une conviction, à animer un échange. Je n’ai pas peur de dire « je comprends que je vous choque et blesse et mon erreur a peut-être été de ne pas suffisamment vous expliquer le fond de ma pensée ». Ce qui nous ramène à la question de la sincérité du manager. L’un des enjeux de la confrontation c’est de traquer les malentendus.
Que dirais-tu à quelqu’un qui confronte ton idée de la confrontation ?
J’aurais grand plaisir à confronter avec cette personne !
Un mot de conclusion ?
La confrontation est un moyen de dépasser la culture de l’affrontement pour la transformer en énergie fédératrice au service d’un collectif. Il n’y a pas de confrontation possible si on n’aime pas les gens. La culture de la confrontation est un chemin.